Par Stéphane BAUD, sociologue au CNRS Personne ne peut nier les pertes massives d’emplois ouvriers dans l’industrie (avec la forte accélération que l’on connaît depuis la mi-2002) mais pourtant, les ouvriers sont encore 6 millions. Si l’on y ajoute les retraités, les chômeurs de l’industrie et les inactifs (majoritairement des femmes au foyer ayant renoncé à postuler à un emploi faute d’emploi justement), le monde ouvrier est loin d’avoir disparu. Au déclin quantitatif indéniable s’est ajouté une transformation du travail lui-même qui change aussi la donne. Il y a bien sûr l’individualisation de l’organisation au travail et la mise en avant des compétences qui transforment le rapport au travail. Toutefois, les ouvriers ont toujours été évalués individuellement que ce soit au travers du travail aux pièces ou par l’évaluation par la maîtrise à respecter les cadences. Le plus important dans les transformations que nous observons aujourd’hui c’est l’atomisation du collectif du travail que ce soit au travers de la sous-traitance ou du développement des petites entités (filiales) qui fragilisent l’appartenance à une même entité. L’exemple de Peugeot à Sochaux est parlant (18 000 salariés chez Peugeot mais 8000 sous traitants sur le site). Les ouvriers ont-ils encore conscience d’appartenir à la classe ouvrière ? L’insécurité de l’emploi et la dégradation des conditions de travail qui s’en est suivie ont contribué à faire régresser chez l’ouvrier la fierté de sa participation à la production. La sphère financière a été valorisée alors que le travail, présentée comme un coût et uniquement comme un coût à réduire toujours et encore s’est déprécié. L’image de l’ouvrier soutenu par sa classe porteuse d’histoire et d’espoirs politiques a disparu. Ne subsiste que l’image du salarié interchangeable, taillable et corvéable à merci sans conscience de soi. Cette évolution aux conséquences graves mais encore peu analysées se traduit notamment par la montée de désespérance du vote ouvrier pour les extrêmes. Peu de responsables politiques semblent avoir compris ce que signifie concrètement la précarité pour les familles populaires c’est à dire l’impossibilité de prévoir et de calculer pour l’avenir. Cette situation n’est bien sûr pas générale, si on est dans un univers à la Zola dans nombre de PME, les ouvriers qualifiés des grands groupes ont des conditions de travail et de salaire acceptables qui les rapprochent des classes moyennes. A cela s’ajoutent d’autres différences. Une grande partie des ouvriers a délaissé les cités pour les zones pavillonnaires en périphérie des villes, mode de vie plus individualiste et moins propice aux mobilisations collectives. Il existe aussi une différence générationnelle (elle aussi entretenue). Les enfants d’ouvriers aspirent à évoluer et à devenir des cols blancs (aspiration légitime) mais se heurtent aux réalités du monde du travail. C’est notamment le cas de ceux qui ont obtenu un Bac professionnel. C’est d’ailleurs de ces jeunes que viendront les mobilisations futures, en s’installant (contre leur gré car faute de mieux) dans la condition ouvrière, ces jeunes se réapproprieront la conscience d’appartenance à une classe que leurs parents avaient perdu. Je ne crois pas à un avenir figé ni à une soumission inéluctable ! |