OMC et café
par Gilles MOREL

Depuis la décolonisation, et quoi qu’on dise, les choses ont beaucoup changé : elles ont empiré ! L’OMC, chargée de réguler le commerce mondial (très noble ambition) s’évertue depuis sa création à déréguler les fragiles protections existantes. Résultat, les pays du Sud se concurrencent entre eux pour piller leurs propres réserves de matières premières. Quant aux hommes, l’éventail du choix offert va désormais de l’esclavage à la mort en passant éventuellement par la guerre.

Mes propos vous semblent exagérés ?
Les jouets de nos enfants sont manufacturés en Chine pour un salaire horaire de 0,15€ (1FF).
Les poires d’Argentine sont actuellement vendues ici 1,5€ le kilo. Combien reste-t-il au producteur Argentin une fois déduit le transport et le coût de la distribution ? 2€ le quintal !
Après avoir autorisé les chocolatiers à introduire 5% de graisses à la place du chocolat, l’UE a sciemment diminué de 5% les recettes d’exportation des pays producteurs (parmi les plus pauvres). Notons au passage que le prix de la tablette de chocolat sera identique pour le consommateur européen.
On pourrait allonger la liste à l’infini : bananes, cultures vivrières, ressources minières… sans oublier la scandaleuse exploitation des ressources humaines.

Il n’est pourtant pire crise que celles dont on ne parle pas. C’est le cas de la crise du café.
Nous ignorons cette crise pour la bonne raison qu’en rayon, le prix du café n’a pas bougé alors que les cours n’ont jamais été aussi bas.
Où passe la différence ?, quelle est l’étendue du désastre ? (car c’est bien d’un désastre humain et économique qu’il s’agit) c’est l’objet de l’enquête qui suit signée par Sarah COX d’Alternatives Québec.

Certains chefs d’état latino-américains l’appellent la pire crise du café des cent dernières années. Avec l’échec catastrophique de la dérégulation des marchés internationaux, le monde fait de nouveau face à une crise de surproduction et de vies dévastées.
La cause immédiate, c’est un excès de café sur le marché international qui fait plonger les cours. Les prix sont tombés à leur plus bas niveau depuis cent ans avec ajustement de l’inflation !
Par conséquent, les producteurs de café -dont la majorité sont de pauvres métayers- vendent maintenant leur récolte bien au-dessous du coût de production. Oxfam International estime que l’existence de 25 millions de petits producteurs de part le monde est menacée. Les familles retirent leurs enfants des écoles (particulièrement les filles), n’achètent plus les médicaments de base et réduisent leur dépenses alimentaires.
Pendant que les grandes transnationales font de l’or (les prix de vente n’ayant pas baissé), les petits producteurs ont vu le prix d’achat de leur production baisser de 72% en 5 ans.
Au nord du Nicaragua, on estime à 6000 le nombre de travailleurs du café et de leur famille qui campent dans des taudis le long des routes en mendiant leur nourriture. Près de la moitié des enfants, des femmes enceintes et des vieillards de la région souffrent de malnutrition.

Rien qu’en août 2002, 12 travailleurs du café au chômage sont morts de faim selon Reuter. D’après des témoins, on voit des enfants morts le long de l’autoroute.
Au Guatémala la crise a porté le nombre de chômeurs au chiffre ahurissant de 40% de la population active. En Afrique, cette crise s’ajoute aux maux chroniques du continent que sont la dette, la sécheresse et les maladies notamment le Sida.
Au Burundi, le café représente 80% des exportations, 50% pour l’Ethiopie. C’est une crise dont la dimension sociale est explosive, des photos aériennes montrent que des plantations de café ont été remplacées par de la coca.

Depuis 1982, le marché du café était régulé par les Accords Internationaux sur le Café. L’accord fixait les prix pour les producteurs et maintenait un prix relativement stable ménageant les intérêts tant des producteurs que des consommateurs.
Puis en 1993 les Etats Unis (plus gros consommateurs mondiaux) se retirent de l’accord arguant que l’accord qui maintenait les prix hauts allait à l’encontre de leurs intérêts.
Le Canada se retire au même moment. Le contrôle des prix s’arrêta et les petits pays producteurs tel le Viêt Nam furent incités par les EU à produire davantage afin de déstabiliser davantage les cours. En dix ans, le Viêt Nam est devenu le 2e producteur mondial après le Brésil.

Suite à l’effondrement des cours, le FMI et la Banque Mondiale font pression sur les pays africains afin de privatiser les centrales d’achat d’état qui garantissaient un prix d’achat minimum.
Pour ce faire, les EU se ont financé des programmes de « communication » auprès des producteurs pour leur faire miroiter les gains confortables qu’ils pourraient attendre dans une économie « libre ».
On connaît la suite, à présent les producteurs Africains se sentent frustrés et révoltés mais surtout impuissants face à cette énorme machine qu’ils ont contribué bien malgré eux à mettre en place.
Pourtant, le café demeure un commerce lucratif. Pour peu qu’on se trouve en haut de l’échelle de l’industrie du café. Cinq multinationales dont Sara Lee, Nestlé, Kraft Foods (Maxwell) achètent la moitié du café vendu dans le monde. On estime les marges de ces grands groupes de 17 à 20%.

La courbe des profits des grandes entreprises du café montre une croissance continue alors que le prix du café ressemble à une courbe elliptique, la dérèglementation a encore exacerbé cet écart. En conclusion, on pourrait dire qu’il est plus rentable de consommer du café que d’en produire.


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