
En contradiction avec ses déclarations en faveur d’une remise en cause du tout-camion, le président de la République multiplie les décisions défavorables au rail.
Création d’un ministère d’État à l’Environnement, déclarations en faveur d’une hausse de 25 % en cinq ans de la part du transport fret non routier : le président de la République, Nicolas Sarkozy, s’emploie depuis le début de son mandat à donner de lui l’image d’un chef de l’État soucieux de s’engager plus que ses prédécesseurs dans le développement des alternatives au tout-camion.
Reste que les faits sont têtus. Non seulement ils ne confirment pas ce discours, mais ils le démentent. Le désengagement de - l’État du financement de « l’autoroute ferroviaire » Lyon— Turin ne relève pas de l’anecdote. Il est symptomatique de l’action présidentielle.
le bilan calamiteux de la sncfLoin de « la rupture » revendiquée, la politique des transports de Nicolas Sarkozy s’inscrit dans la poursuite de celle mise en oeuvre par la droite depuis 2002, dont une des premières décisions fut de rompre avec le développement du fret SNCF initié sous le gouvernement de Lionel Jospin par le ministre communiste des Transports, Jean-Claude Gayssot.
Cinq ans plus tard, la situation de Fret SNCF est catastrophique. Le volume de marchandises transporté par l’entreprise publique est passé de 55 milliards à 40 milliards de tonnes/kilomètre. En 2006, l’activité a enregistré une perte courante de 250 millions d’euros et des pertes exceptionnelles de 650 millions d’euros. Soit un total de 900 millions d’euros pour un chiffre d’affaires qui a reculé de 200 millions d’euros, passant de 1,9 milliard d’euros en 2005 à 1,7 milliard d’euros l’année dernière.
Un bilan calamiteux que la direction de la SNCF attribue à la concurrence dont elle affirme, sans en apporter la preuve, qu’elle bénéficie d’un avantage de 30 % en termes de coût de production. Une explication peu convaincante. En effet, les nouveaux venus sur le marché du fret ferroviaire n’ont récupéré que 3 des 15 milliards de tonnes/kilomètre perdues par l’entreprise publique. Au total depuis 2003, date de l’entrée en vigueur de la libéralisation, les concurrents de la société nationale ont réussi à capter seulement 1 % des trafics.
Selon les organisations syndicales de cheminots, la chute vertigineuse des résultats de Fret SNCF est due « à une dégradation de la qualité et de la fiabilité » des prestations de l’entreprise publique.
Celles-ci sont la conséquence de la mise en oeuvre du plan de redressement de l’activité (2004-2006), affirme en particulier la CGT. Ce plan, qui prévoyait « une réduction des capacités » de Fret SNCF et qui est à l’origine de 40 % des 16 000 suppressions d’emplois de cheminots depuis 2002 et de la fermeture de nombreuses gares et triages, a conduit à une dégradation de l’outil de production.
Avalisé par la Commission européenne sous condition d’une mise en oeuvre de la libéralisation du fret ferroviaire, il avait pour objectif l’adaptation de l’entreprise publique au nouveau contexte de la concurrence. Sa logique, fondée sur l’abandon d’une politique de volume au profit d’une politique de marge, a consacré le repli de la SNCF sur les trafics les plus rentables.
privatisation rampanteLoin de rompre avec cette politique, « le programme d’actions », adopté par le conseil d’administration de la SNCF le 28 mars dernier malgré l’opposition des administrateurs CGT, propose de la poursuivre. Les projets de « haut-débit ferroviaire » confirment l’engagement de la SNCF dans une gestion axée sur la rentabilité financière, tandis que « l’objectif d’une amélioration de 25 % de la productivité » annonce de nouvelles saignées en matière d’emplois et sous-tend de nouveaux abandons d’infrastructures.
Cette logique purement financière imposée par l’État à la SNCF corrobore les accusations régulièrement répétées par les organisations syndicales de cheminots, qui affirment que le gouvernement procède ainsi à « une privatisation rampante » de l’entreprise publique.
Pour réclamer l’abandon de cette orientation, sept des huit fédérations (CGT, CFDT, FO, CFTC, SUD Rail, UNSA et CFE-CGC) se sont adressées dans un courrier commun à la présidente de la SNCF, Anne-Marie Idrac.
Dans cette lettre, les syndicats revendiquent « un moratoire sur l’ensemble du projet de l’activité fret », récemment adopté, et l’ouverture d’un débat sur leurs propositions. Ils exigent également « l’arrêt des suppressions d’emplois et de leur filialisation, la réouverture de gares au fret et le maintien de l’activité de l’ensemble des triages ».
Pierre-Henri Lab, l'Humanité