

La réforme transforme le système de soins en parcours du combattant. Petite projection dans le futur d’un patient : désormais, de la simple consultation chez le généraliste à l’hospitalisation, le recours aux soins est entouré d’un fort carcan financier.
Vous êtes malade, vous décidez de consulter un médecin. Pour être remboursé au mieux, il faudra vous rendre d’abord au cabinet de votre médecin traitant, que vous aurez choisi et dûment signalé auparavant à votre caisse d’assurance maladie : il sera la plupart du temps généraliste, mais il pourra également être pédiatre, gynécologue ou ophtalmologue, même si ces deux dernières options semblent surréalistes. Si votre état le nécessite, votre médecin traitant vous adressera à un confrère. Ce parcours " vertueux " garantit une prise en charge financière optimale, à condition que le médecin traitant et son confrère pratiquent les tarifs conventionnels.
Si vous n’avez pas de médecin traitant, ou que vous préférez vous passer de son avis et prendre directement rendez-vous chez un autre - un spécialiste, par exemple -, ce sera à vos frais : le médecin sollicité pourra vous imposer un dépassement d’honoraires, qui ne sera pas pris en charge par l’assurance maladie.
Mais vous décrocherez probablement, en contrepartie, un rendez-vous plus rapide, le praticien ayant tout à gagner, financièrement, à donner la priorité aux patients non recommandés par leur médecin traitant. Au total, votre remboursement n’est donc plus lié à la maladie, mais au respect ou non du parcours imposé. Ce mécanisme ne souffre que deux exceptions : l’urgence ou l’éloignement géographique.
Mais le respect strict de ces consignes n’empêche pas que vous y serez de toute façon de votre poche. À partir de 2005, chaque consultation, acte médical ou passage aux urgences sans hospitalisation est soumis à une franchise de 1 euro, qui pourra évoluer à la hausse. Votre visite à 20 euros chez le généraliste ne vous sera plus remboursée 14 euros mais 13 euros. Sauf si vous bénéficiez de la CMU, êtes enceinte de plus de trois mois ou avez moins de 16 ans : vous êtes alors dispensés de contribution.

Cette disposition est particulièrement injuste si vous êtes très malade, et notamment atteint d’une affection de longue durée (ALD), que ce soit un diabète, le sida ou un cancer : bien que vos soins soient pris en charge à 100 % sur le papier, cette franchise vous sera appliquée. Or vous consultez souvent, et vous devez régulièrement effectuer des analyses biologiques ou des examens radiologiques, qui occasionneront à chaque fois le versement de cet euro.
Au total, la somme non prise en charge à l’échelle de plusieurs années pèsera fortement sur votre budget. Et ne comptez sur votre mutuelle pour prendre le relais : les organismes d’assurance maladie complémentaire seront dissuadés, par des mécanismes fiscaux, de prendre en charge ce forfait.
Ici, l’intention du gouvernement est de " rentabiliser " en quelque sorte les pathologies qui coûtent le plus cher à l’assurance maladie, en faisant payer aux plus malades leur affection au prix fort. À cette pénalisation financière s’ajoutera pour vous, patient en ALD, l’obligation de suivre un protocole de soins préétabli, sous peine de ne plus être pris en charge à 100 %, et de le conserver soigneusement dans votre portefeuille. Car en cas de consultation imprévue chez un médecin inhabituel, le remboursement est conditionné par la présentation du document.
Et les contraintes ne s’arrêtent pas là. Une fois dans le cabinet du médecin, vous devrez lui autoriser, à partir de juillet 2007, l’accès à votre dossier médical personnel (DMP), stocké sur Internet, pour voir votre consultation prise en charge par l’assurance maladie. Même si les députés ont posé des gardes-fous pour empêcher les assureurs privés et les employeurs de profiter de ce gisement d’informations, la confidentialité des données médicales contenues dans le DMP pose problème.
Votre désir de cacher une dépression ancienne, une toxicomanie passée ou une IVG doit-il se payer d’un non-remboursement systématique lorsque vous allez chez le médecin ou à l’hôpital ?
Si, à l’issue de la consultation, le médecin vous prescrit un arrêt de travail, même court, attendez-vous à être davantage contrôlé. Et si l’assurance maladie estime l’arrêt injustifié, vous serez tenu de rembourser les sommes indues, et votre employeur sera averti de votre supposée tricherie. Votre médecin pourra se voir infliger un avertissement, une amende ou, à l’extrême, une interdiction de prescrire des arrêts de travail.
Enfin, si votre visite se termine par une décision d’hospitalisation, sachez que le forfait hospitalier, à votre charge, augmentera de 1 euro par an pendant trois ans, pour passer de 13 à 16 euros par jour. À l’hôpital, l’accès à votre DMP sera également requis, de même que la présentation de votre protocole de soins si vous êtes en ALD.
Anne-Sophie Stamane, l'Humanité, Juillet 2004