par François Congost, économiste
Le développement humain devrait être la fin et le moyen d'une croissance nouvelle, durable, économe, soucieuse de la nature. Tout le monde semble appeler de ses voux un retour de la croissance, mais s'agit-il de la même ? Alain Juppé affirme que la baisse des impôts est " la seule manière de (...) réenclencher le cercle vertueux de la croissance et de l'emploi ". M. Seillière considère que " le mouvement de réforme amorcé (par la droite - NDLR), est la principale réserve de croissance de notre économie, il doit être maintenu et accéléré ". Quand le baron propose d'accélérer, évidemment, on sait que c'est en marche arrière. L'interrogation sur le sens de la croissance est d'autant plus légitime que celle qui a marqué la fin du siècle dernier, sous le gouvernement d'une gauche plurielle embarrassée dans ses contradictions, loin de régler les difficultés, a accru les inégalités, l'insécurité sociale, gonflé les profits et l'activité des marchés financiers. Une conception de la croissance domine à droite, dans le patronat et aussi dans une partie de la gauche : pour relancer la croissance, il faudrait relancer la Bourse ! C'est la version moderne de la vieille idée réactionnaire selon laquelle pour soulager les pauvres, il faudrait aider les riches. C'est notamment le sens de la politique de baisse d'impôts mise en ouvre par Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin. Le cumul des exonérations, abattements, déductions de toutes sortes approche les 4 milliards d'euros en 2003. Les choix fiscaux de la droite sont très sélectifs. Elle se garde bien de diminuer la TVA, ou de réformer la taxe d'habitation au bénéfice des familles modestes. Tout au contraire, elle augmente les taxes sur le gasoil. Aujourd'hui, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, rapporte plus que l'impôt sur les sociétés. En fin de compte, ces baisses fiscales bénéficient principalement aux catégories aisées qui ont pour habitude d'augmenter leur épargne financière, de placer en Bourse leurs suppléments de revenus. De Matignon jusqu'à la Banque centrale européenne, toute la ressource publique et privée est ainsi mobilisée pour relever les profits défaillants, relancer la croissance financière des capitaux. Et pas seulement ici. Les réformes des régimes de retraite engagées parallèlement en France, en Allemagne, en Italie, ont cette finalité : dégager de nouveaux horizons aux marchés financiers, au détriment du développement humain. Trouver de nouvelles sources de financement pour que France Télécom, Axa, Vivendi, puissent poursuivre leurs gâchis de capitaux de par le monde. Cette relance-là fonctionne à contre-emploi, constitue une véritable poussée au chômage. Elle s'accompagne de projets de restructuration dans la fonction publique, à la SNCF, chez Alstom, à La Poste, chez Eramet, Mesure-t-on assez que la baisse de la dépense publique constitue une véritable bombe contre l'économie française et l'emploi ? Quelle alternative opposer ? Une relance fondée sur l'intérêt du plus grand nombre, qui parte des besoins en emploi et en formation des populations. Qui mobilise des ressources et particulièrement le crédit des banques pour les financer. Il s'agit de dépasser la simple formule. Les politiques de l'emploi mises en ouvre jusqu'à présent, à quelques expériences près, ont visé à adapter une partie de la population aux besoins des entreprises, ou plus exactement, du capital. Le projet consisterait à inverser la démarche. De faire preuve de créativité, d'invention pour construire des passerelles partant des gens, de tous les gens, les " in " et les " out ", pour aller vers l'entreprise et la changer. L'ambition est d'autant plus crédible que l'entreprise ne se réduit ni à sa direction, ni à ses actionnaires. Cela suppose, là aussi, une mobilisation de toutes les ressources de la société, publiques, privées, une réorientation de la BCE et même du FMI, pour financer sur d'autres critères les activités, les emplois, les formations nécessaires et utiles. Cela suppose de confronter les besoins des populations avec le marché mais pour le transformer et le dépasser. Le développement humain est la fin et le moyen de cette croissance nouvelle, durable, économe, soucieuse de la nature. Un vaste champ peut s'ouvrir à l'initiative populaire. Il suffit par exemple de penser aux possibilités qu'ouvre la réflexion sur la crise d'utilité sociale de la voiture dans nos sociétés ou le rééquilibrage des rapports Nord-Sud. Une construction politique qui notamment prendrait à bras le corps cette problématique, visant à donner un tout autre sens à la croissance, aurait évidemment belle allure. < |