Executive Life et les pantalonnades du liberalisme
![]() Côté libéralisme pur et dur, le comportement de la droite en la circonstance tient du vaudeville. Avec des PDG qui sortent par la porte et rentrent par la fenêtre. Qu'on en juge. À la fin juillet 2003, le gouvernement français refuse un accord à 585 millions de dollars avec les autorités américaines permettant d'éviter les poursuites au pénal. À la mi- décembre, il en accepte un autre à 770 millions de dollars. Qu'y a-t-il eu de changé entre-temps ? Contrairement au second, le premier protocole présente pour lui un vice rédhibitoire : il ne couvre pas l'ami de Jacques Chirac, le grand patron du groupe Printemps-Pinault-La Redoute, François Pinault, impliqué dans l'affaire. Une fois de plus, on mobilise la puissance publique, l'argent des Français pour protéger des intérêts privés. Pour le libéralisme, il s'agit d'une véritable tradition, pour le Crédit lyonnais, durant plus d'une décennie, d'un style de gestion. Côté social-libéral, le comportement relève plutôt de la Star Academy. Au milieu des années quatre-vingt, avec le tournant de la " rigueur " et la décision d'accrocher le franc au mark, le Parti socialiste se sent une vocation. Il s'engage dans le monde de la finance comme un néophyte avide de succès rapides et spectaculaires. Il utilise notamment le Crédit lyonnais comme une pépinière chargée de former une génération de " gagneurs ". C'est l'époque de " Vive la crise ! ". À coups de centaines de millions, de milliards même, la banque sert ainsi de tuteur à des affairistes comme B. Tapie, B. Arnault, J.-C. Naouri, V. Bolloré, et l'inévitable F. Pinault. C'est dans ce climat d'une recherche forcenée d'argent facile que l'opération Executive Life est engagée en 1991 et que François Pinault est encouragé à y participer. L'objectif est de mettre la main à moindres frais sur des obligations très spéculatives et, après quelques tours de passe-passe, d'empocher plusieurs milliards de dollars. Tout cela sans avoir produit quoi que ce soit d'utile, même pas un bouton de culotte. La multiplication des scandales financiers fait désordre. Il faut cependant attendre 2001 pour que quelques obligations légales soient imposées par le gouvernement Jospin : limitation du nombre de mandats d'administrateur, plus grande transparence des rémunérations de dirigeants. Peu après, les entourloupes de J.-M. Messier, patron de Vivendi, emportent ces digues de papier. Puis la quasi-faillite d'Alstom, même si elle n'a pas de suites judiciaires, montre que ce n'est pas édicter des règles de bonne gouvernance ou la création de comités Théodule, où des affairistes sont chargés de contrôler leurs compères, qui peut empêcher un système fondé sur la recherche de la plus forte rentabilité financière de déraper. Il faut changer le système. Vaste programme qu'il serait vain de répéter telle une incantation. Comme il ne suffit pas de brûler la Bourse, l'objectif est évidemment difficile à atteindre. Les chemins sont nouveaux et escarpés. Il en est ainsi de la revendication de nouveaux pouvoirs aux salariés et aux institutions qui les représentent, de nouveaux droits pour des instances à inventer, telles que des conférences financières dans les bassins d'emploi chargées moins de contrôler les gestions patronales que d'impulser une autre orientation de l'argent et du crédit en faveur d'investissements créateurs d'emplois, de programmes de formation élevant la qualification des populations avec ou sans emploi. Ces droits nouveaux ne seront pourtant utiles aux gens que s'ils permettent d'engager un autre type de gestion des entreprises. Cela suppose de se confronter aux critères patronaux, de proposer des alternatives. Ces droits gagneraient aussi à être consolidés en amont par une autre politique de la monnaie et du crédit que celle impulsée par la Banque centrale européenne. Il ne s'agit pas seulement de baisser encore les taux d'intérêt d'une manière uniforme, mais d'obtenir qu'ils puissent varier en fonction de leur utilité sociale. Pour conjurer de nouveaux " Executive Life ", il faut donc innover en construisant une alternative aux marchés financiers. La radicalité antilibérale sans novation risque de tourner à la simple agitation. L'Humanité du 07 Janvier 2004 |