Bilan sur l'aide apportée aux entreprises
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Entreprises . Les exonérations de charges patronales coûtent cher, pour une efficacité incertaine, selon la Cour des comptes.
Ça coûte cher, ça ne rapporte pas gros, tout en entraînant des risques d’effets collatéraux non négligeables.
À la demande de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes vient de dresser un bilan de la politique d’exonération de cotisations patronales.
Remis en juillet 2006 aux députés, ce document n’a guère fait l’objet de publicité.


Rien de surprenant : c’est un pilier de la politique suivie, depuis une quinzaine d’années, par les gouvernements successifs en matière d’emploi, qui se trouve ici remis en question.

La droite a donné le top départ, en 1993, avec les premiers allégements généraux de cotisations sur les bas salaires, en particulier la fameuse « ristourne Juppé » sur les cotisations maladie. Selon la loi, il s’agissait de « permettre aux entreprises d’augmenter leur compétitivité face à la concurrence et d’atténuer les freins à l’embauche », tout spécialement des salariés peu qualifiés. Bref, de baisser le « coût du travail » et de répondre ainsi aux doléances permanentes et toujours plus insistantes du patronat. À partir de 1996, le phénomène connaîtra un nouvel élan, cette fois au nom des 35 heures et de leurs répercussions sur le SMIC.

Une nébuleuse
Chemin faisant, à ces baisses de charges sur les bas salaires, sont venus s’ajouter de nombreux dispositifs d’exonérations visant des publics particuliers (contrats aidés d’apprentissage, de professionnalisation, pour les emplois à domicile...), ou bien des territoires (zones franches urbaines, départements d’outre-mer).
Total : en 2005, la Cour des comptes a recensé pas moins de 46 mesures différentes, pour un coût total, pour les finances publiques, de 19,8 milliards d’euros, contre seulement 3 milliards en 1993, l’essentiel (16,5 milliards) étant consacré aux allégements sur les bas salaires.
Quelque 10 millions de salariés entrent dans le champ des allégements, attribués jusqu’à un niveau de rémunération de 1,6 SMIC.

Première remarque des magistrats
ils dénoncent une inflation de décisions, non maîtrisées, qui traduisent « la tendance générale au "mitage" de l’assiette des cotisations sociales et posent le problème de l’équité du financement de la Sécurité sociale ». D’autant que, contrairement au principe fixé par une loi de 1994, le manque à gagner occasionné par ces mesures pour la Sécu n’est pas toujours compensé par l’État.

Seconde observation
Concentrés sur les PME, les allégements de cotisations bénéficient principalement à des secteurs qui ne sont « pas directement exposés à la compétition mondiale et encore moins au risque de délocalisation ». Or, rappelle la Cour, l’exposition à ces risques était, selon la loi, l’une des raisons de la politique de baisse de charges.
Ainsi les exonérations pleuvent-elles dru sur le tertiaire, pour qui « ancrage territorial et relation de proximité sont plus importants que la pression de la concurrence internationale ». La grande distribution affiche l’un des taux d’exonération les plus élevés « alors même que le coût salarial ne semble pas être le principal déterminant de l’emploi ». Quant à la restauration commerciale, ces cadeaux sont « plutôt venus conforter les marges des entreprises qu’induire des embauches supplémentaires », pointe le rapport.

Les magistrats soulignent d’autre part le risque de la « trappe à bas salaires » : les allégements étant attribués jusqu’à un certain seuil de rémunération, les entreprises sont incitées à maintenir au maximum leur personnel au-dessous de ce niveau. Ici, la Cour juge impossible de conclure avec certitude, au motif, étonnant à ses yeux, de la quasi-absence d’études « sur un sujet aussi essentiel ». Elle note cependant la forte progression, depuis une dizaine d’années - parallèle, donc, à celle des baisses de charge - , du nombre de travailleurs payés entre 1 et 1,6 SMIC, représentant maintenant 50 % des salariés.


Yves Housson, l'Humanité du 08/09/2006


Reste la grande question

Celle de l’impact global sur l’emploi de cette politique.


Le rapport note, là aussi, que les évaluations sont « rares et divergentes ». Des études portant sur une période limitée (1993-1997) font par exemple état d’une large fourchette de créations d’emplois : entre 100 000 et 500 000, pour 5 milliards d’euros d’allégements.
Certes, « aucune évaluation n’aboutit à un effet négatif », mais l’ampleur de l’effet positif n’est « pas assez précise ».
En outre, les emplois peu qualifiés créés « sont, pour une part, occupés par des salariés formés, et non peu formés ». Contrairement, là encore, à l’objectif annoncé. La Cour évoque ici l’effet de déclassement de travailleurs qualifiés induit par les baisses de charges.
Au final, tranchent les magistrats, « même si des emplois ont été effectivement créés, ou des destructions d’emplois ralenties, les allégements représentent aujourd’hui un coût très élevé ». Et « l’efficacité quantitative reste trop incertaine pour qu’on ne s’interroge pas sur la pérennité et l’ampleur du dispositif ».
Interrogation qui passe pourtant au-dessus d’un Dominique de Villepin qui vient de décider de supprimer les deux derniers points de cotisations sociales subsistant au niveau du SMIC...




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