Radiographie de Corsica Ferries
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Les dessous de Corsica Ferries : La fable fait fureur du côté du gouvernement. Elle ne fait cependant rire ni à Marseille ni en Corse. Ni parmi les salariés de Corsica Ferries. Dès décembre 2004, des parlementaires avaient révélé que cette compagnie privée connaissait de " réelles difficultés financières avec une perte de 7,9 millions d'euros égale aux trois quarts de son capital et une absence de fonds propres : 11 millions d'euros, quand le SNCM dispose de dix fois plus ". Une société au bord de la faillite ? Pas si sûr. Tout est dans les jeux d'écritures au sein d'une nébuleuse dont la transparence n'est pas le point fort.

Corsica Ferries, une entreprise opportuniste bien gérée face à une SNCM véritable monstre public, dispendieuse des deniers de l'État ?

Décryptage à partir d'un document de travail sur l'exercice 2002 réalisé pour le compte de la SNCM par le groupe Alpha, société d'expertise comptable, en décembre 2003, que nous avons pu nous procurer au greffe du tribunal de commerce.

Une nébuleuse
À l'origine, il y a la riche famille des Lota, qui exerce ses activités au sein du groupe Tourship Groupe SA depuis le Luxembourg, mais qui se déplace vers la Suisse avec la création de Lota Maritime lors d'une alliance avec le holding Lozali.
La famille garde toutefois une totale emprise sur Lota Maritime et sur... Lozali avec des interrelations au travers des membres de la ditefamille.
La nébuleuse se structure ainsi à trois niveaux avec des points de jonction de moins en moins nombreux pour brouiller les pistes : Lota Maritime pour les actifs et le fonds de commerce, Tourship Group avec notamment Caribia Ferries, et une flotte portée - ainsi que son armement - par trois sociétés italiennes du groupe récemment fusionnées au sein de Tourship Italia. Laquelle porte aussi l'essentiel des frais de personnel, exonérant ainsi pour partie, Corsica Ferries France par exemple, qui tend à ne devenir qu'une structure d'exploitation. (Les frais de personnel dans le compte de résultat de Corsica Ferries ont baissé de 8,5 % de 1995 à 2002.)
Ce qui n'empêche pas une utilisation de pavillons permettant de réduire ses coûts mais qui limite d'autant l'effectif de nationalité française en général et d'origine corse en particulier.

Dumping social
Les experts notent que ces structurations peu claires donnent lieu à des flux divers entre sociétés du groupe et parfois hors groupe. Ce qui favorisera la non-prise en compte dans les bilans, d'endettements associés ou des résultats significativement déficitaires. " Les résultats financiers restent toujours relativement opaques ", notent-ils avec des options contradictoires : accélération apparente des amortissements, sur des logiques fiscales, conjointement à des augmentations sensibles de charges constatées d'avance masquant des déficits significatifs.
Sur le plan financier, Lota Maritime noue des relations avec des banques suisses ou italiennes tout en gardant des liens privilégiés avec la célèbre et richissime banque du Gottard. Compte tenu de la faiblesse des fonds propres, les sociétés portant la flotte sont nettement endettées : 160 231 euros au 31 décembre 2002. Elles sont aussi nettement déficitaires, Corsica Ferries compris : 435 000 euros. " Cela tend à confirmer, disent les experts, un certain dumping social, posant par là même la question de la position de la SNCM désormais bridée par Bruxelles. "

Déstabiliser la SNCM
De plus, ils s'interrogent sur la politique d'investissement, et sur des logiques fiscales propres à l'Italie. Lota Maritime dégage, sur la base de ces jeux d'écritures et de ces montages savants, un autofinancement réel lié à une dynamique des trafics combinant, selon le cabinet Alpha, une fragilisation de la SNCM (attaque commerciale agressive de Corsica Ferries, pression dans le cadre d'une recapitalisation) et utilisation des fonds publics par le biais du PAX social (aide au passager transporté).

Un autofinancement pouvant éventuellement dégager des moyens pour " poursuivre une politique commerciale agressive afin de poursuivre la déstabilisation de la SNCM ". Lota Maritime est ainsi devenu leader sur la Corse en dépassant la SNCM en trafic/aide au passager : 751 000 aide au passager sur la Sardaigne, 798 000 sur Corse-Italie, et 822 000 sur Corse-Continent, quand la SNCM s'est désengagée de l'Italie et n'est que marginalement présente sur la Sardaigne. Au plan stratégique, Alpha constate en conclusion " une agressivité, graduée dans le temps, visant manifestement à déstabiliser la SNCM et être en position de force pour la future convention de délégation de service public en 2006.
Une guerre frontale afin de gagner des positions étape par étape avec toutefois une position de leader qui va devenir complexe à gérer : comment revendiquer demain un monopole que l'on a combattu hier ? ". Une nébuleuse en tout cas où une plus grande transparence est nécessaire : c'est ce que les députés communistes ont demandé en mai dernier en proposant la création d'une commission d'enquête parlementaire portant notamment sur l'utilisation de l'enveloppe de continuité territoriale, les stratégies et politiques économiques et sociales de Corsica Ferries France, ainsi que sur son statut au sein des holdings auxquels elle est liée.


Dominique Bègles, l'Humanité du 05/10/2005


Des chemins de fer anglais à la SNCM

Service déplorable, mauvaise gestion... Sur les rangs pour entrer dans le capital de la SNCM dans le cadre d'une privatisation, la Connex s'est illustrée outre-Manche.
Londres,correspondance particulière, Peter Avis

La société Connex, filiale de Veolia, nommée pour prendre 30 % du capital de la SNCM, a une certaine réputation européenne dans la gestion des transports publics. Mais elle ne peut guère être fière de sa performance en Angleterre.
Dans le processus chaotique de la privatisation des chemins de fer britanniques, entamé il y a neuf ans par le gouvernement conservateur de l'époque, Connex a pu gagner la franchise de deux des vingt-trois régions du réseau : ceux du South Central et du South East, comportant toutes les lignes de grande fréquentation qui lient Londres au sud-est du pays.
Malheureusement, en dépit de l'expertise de gestion des chemins de fer par les Français, reconnue et admirée à travers la SNCF, l'expérience Connex de l'autre côté de la Manche a été bien pénible pour les passagers et pour les cheminots. Car elle ne l'a pas été autant pour les actionnaires... En 2003, ce fut la première fois qu'un tel coup était porté à une société privée, Connex a été déchue de sa franchise South East.
La Strategic Rail Authority (autorité de réglementation du gouvernement) a pris cette décision à cause de la gestion insuffisante et surtout gaspilleuse de fonds publics, sur un réseau fréquenté par 120 000 passagers par jour. Elle a refusé d'accorder encore 2 millions de livres (2,8 millions d'euros) de fonds publics réclamés par Connex, après un pompage de 58 millions de livres (85 millions d'euros) quelques mois auparavant.
L'éviction de Connex du réseau régional, qui comprend 182 gares et emploie 3 000 salariés, a été fêtée par le personnel (les relations patronat-syndicats ont été lamentables) comme par les passagers qui rouspétaient quotidiennement contre les retards et la saleté des trains.
Dans l'immédiat, le réseau South East est rentré dans le secteur public, en attendant une nouvelle privatisation.
Le gouvernement travailliste de Tony Blair attend des appels d'offres, mais ne veut pas entendre les appels des syndicats de cheminots qui, eux, réclament la renationalisation de tout le réseau national.

Depuis la débâcle du réseau South East, Connex a également rendu, de sa propre volonté, sa franchise pour le réseau South Central reliant Londres à la côte sud. Ce réseau a été récupéré par la société Govia, dans laquelle l'entreprise française Via GTI est impliquée.

Derek Kotz, porte-parole du syndicat RMT, a déclaré à l'Humanité hier : " Nous ne voudrions pas que les Français subissent la même mauvaise expérience de la privatisation que nous. Connex a fourni un service déplorable, mais c'est à cause de sa mauvaise comptabilité qu'elle a perdu la franchise.
Depuis que la région South East est revenue dans le secteur public, la société gérante demande 1 million de livres (1,4 million d'euros) de moins par mois de subventions de l'État.
Avec une meilleure gestion et en n'ayant plus à remplir les poches des actionnaires, la ligne a pu embaucher davantage de personnel, le moral des salariés s'est amélioré et les trains arrivent plus souvent à l'heure. Maintenant le gouvernement propose de privatiser à nouveau ce réseau. C'est le comble de l'absurde ! "




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